(Chronique rédigée le 29 mars au soir)
En ces temps d’émotion, de mobilisation, de passion et de détermination, difficile de prendre du recul et d’analyser objectivement le pendant du « printemps arabe » : le Petit été Guyanais [« Petit » relatif au mois de mars, non à la mobilisation]
Les événements actuels ont créé une rupture historique dans l’histoire guyanaise. Il y aura l’avant et l’après le – déjà légendaire – 28 mars 2017 guyanais (prochain jour férié ?).
Enseignement :
– Il n’y avait pas conjoncturellement pire moment pour commencer une mobilisation. Le calendrier électoral avec le changement de gouvernement programmé, le calendrier scolaire avec les examens afférents et même la saison des pluies. Et pourtant… c’est dire le ras-le-bol emmagasiné. Des étincelles ont enflammé un brasier géant.
– La communication est devenue le fer de lance de l’attraction. Les « 500 Frères contre la délinquance » l’ont magistralement démontré. Il y a eu en Guyane plusieurs collectifs contre la violence, la délinquance ou l’insécurité (Famn Dibout… Trop Violans… Coseg…). Aucun de ces collectifs n’a eu l’impact des 500F.
Profitant de l’exaspération latente et ô combien légitime de la population, le mode d’action des 500F a permis au plus grand nombre d’adhérer à la cause : la première des libertés, c’est la sécurité.
Enfin ! Voilà des citoyens engagés avec lesquels on ne joue pas. Finies les discussions, bloublou fini, place à l’action ! Vêtus de noir, cagoulés, physiques imposants, s’appropriant l’espace public en masse compacte et coordonnée… whaou ! ça nous change des intellectuels anonymes des réseaux sociaux. La terreur – des délinquants – doit céder face à la peur – des 500F contre la délinquance.
– L’État en Guyane survivait dans ses contradictions (développement économique mais contraintes européennes) et dans son manque d’ambition pour le pays (tous les clignotants sont rouges, signe d’une déliquescence larvée) en profitant des divisions politiques, économiques, voire communautaires. Face à la convergence : plus rien ne va, le pilote administratif du territoire, l’État, voit ses défaillances éclatées au grand jour.
– Derrière le collectif principal, Pou Lagwiyann dekolé, de multiples collectifs émergent, de toutes les zones du territoire, de tous les champs de la société, chacun avec son propre cahier de revendications. Il serait naïf de croire que toutes les revendications pourront être satisfaites. Pour preuve, des revendications s’opposent. Quand il s’agira de trancher, de prioriser les satisfactions, hum, sur quelles bases le seront-elles ? Le poids politique, celui syndical, professionnel, voire communautaire ? Il y aura des déçus. Sans pédagogie idoine, les déçus seront nombreux et la situation risque de s’enliser.
– La créature a échappé à son créateur. Souvenez-vous, au départ, il y avait surtout les socio-pros. L’UTG éclairage étant dans un registre plus classique, parce que syndical, de revendications. Aujourd’hui, les socio-pros sont objectivement dépassés par les événements. Les dégâts économiques sont déjà considérables. Un grand nombre d’entreprises, d’artisans, de salariés ne se relèveront pas des blocages. Pour certains chefs d’entreprises, ouvrir son entreprise dans le contexte des blocages/barrages, c’est non seulement « trahir » la cause mais aussi la « peur » des représailles. Il faut le dire. Alors je le dis.
– Comme il existe une peur certaine chez nos élus. Les grands, très grands perdants de cette mobilisation, ce sont les élus, pourtant enfants de Guyane, mandatés par la population, soucieux de l’intérêt général. Camouflets successifs : les élus n’ont pas le droit de rencontrer qui ils souhaitent sans autorisation de certains collectifs, humiliés même quand, dans un paragraphe du quotidien local, il leur est explicitement demandé, a contrario des avocats par exemple, de défiler sans leur écharpe tricolore et surtout « derrière la population ».
Quid du message de l’unité quand les élus sont confinés à quantité négligeable ?
Certains collectifs appuient leur légitimé sur la mobilisation. Cette notion n’est pourtant pas synonyme d’adhésion. Il existe une population qui n’est pas dans les barrages, qui se rue sur les commerces alimentaires, qui fait la queue aux stations-services, qui compte ses chômeurs, qui s’inquiète des écoles fermées et des examens à venir.
Le procès fait aux élus est injuste. Ces derniers ont porté, certes sans succès probant, un grand nombre des présentes revendications. Il appartiendra à l’État de mieux les écouter pour ne pas avoir à répondre dans l’urgence aux collectifs constitués sans base démocratique légitime. En effet, de la démocratie participative à la démagogie populiste, hum, méfiance.
Ici et là, fort de la mobilisation, beaucoup entonnent le chant de l’indépendance. Pourquoi pas ? Mais même le Suriname voisin a, fort heureusement, des élus.
Perspective :
Comme la place m’est comptée, je vais essayer d’être rapide.
Soit nous considérons que la Guyane, aussi grande que le Portugal ou l’Autriche et distante de 7.000 kilomètres de l’Hexagone, peut être gérée comme le Limousin qui plus est en dépit du déficit structurel existant.
Soit on donne à la Guyane les moyens de se développer avec plus d’autonomie. A l’État les missions régaliennes [tout ce qui est coûteux], à la collectivité locale l’autonomie suffisante pour être maîtresse de son destin.
Pour moi, le choix est clair. L’été guyanais doit conduire à une évolution statutaire aussi nécessaire qu’inévitable. En effet, autant préparer dès aujourd’hui, ce qui, à terme, arrivera : l’Indépendance.
Farouk AMRI