Bernard Cazeneuve et Ericka Bareigts attendaient que la nouvelle Zone de Sécurité Prioritaire de St-Laurent du Maroni soit mise en service vendredi dernier pour lancer officiellement leur « Conférence nationale de sécurité Outre-mer » à Paris ce lundi. Si le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux est actuellement bloqué à Mayotte en raison des conditions météorologiques, son prédécesseur devenu premier ministre a su défendre « les efforts inédits et très significatifs » engagés par son gouvernement.
Tant sur le plan qualitatif que quantitatif, l’Etat s’est félicité des 22 mesures mises en place il y a seulement 9 mois dont découle d’ailleurs l’organisation de cette conférence qui a réuni au ministère de l’Outre-mer les représentants de l’État, les élus ultramarins et des responsables associatifs afin « d’échanger sur les initiatives qui sont menées dans les territoires ultramarins » dans le cadre d’ateliers de travail.
Conférence nationale pour la #sécurité #outremer : mise en oeuvre de mesures concrètes dans le cadre du Plan Sécurité signé en juin 2016 pic.twitter.com/HKUmhyNKe3
— Ministère Intérieur (@Place_Beauvau) March 6, 2017
D’après les deux ministères, « tous les acteurs ont insisté sur la nécessité de co-construire les politiques de prévention de la délinquance avec les acteurs de terrain, pour permettre une adaptation fine aux spécificités et aux enjeux de chaque territoire. (…) Les échanges ont aussi souligné l’importance du rôle des associations dans le domaine de la prévention, aux côtés des collectivités (…) auprès de la jeunesse. » Enfin, la sécurité routière et la lutte contre l’immigration irrégulière ont fait l’objet d’une autre table ronde.
Il s’agit « d’une véritable première » s’est enthousiasmé en introduction de la Conférence Bernard Cazeneuve, reconnaissant que « les outre-mer connaissent globalement un niveau de délinquance et de violence supérieur à celui de la France hexagonale. »
205 homicides en 2016
Les Outre-mer font de temps à autres la « Une » des grands médias nationaux pour des histoires de meurtres ou de trafics, mais toujours moins que les rixes de gangs à Marseille. Pourtant, le taux d’homicide y est plus important que dans la cité phocéenne. En 2016, 205 meurtres étaient à déplorer dans l’ensemble des territoires ultramarins (dont 42 en Guyane). Une augmentation inquiétante par rapport aux années précédentes, qui a provoqué en Guyane – comme ailleurs – de nombreuses mobilisations pour dire « Stop » à l’insécurité et réclamer davantage de moyens.
Le nombre de vols avec violence a régulièrement augmenté depuis deux ans, passant de 1.694 en 2014 à 2.338 en 2016 selon les chiffres communiqués par le parquet de Cayenne. Par ailleurs, le nombre de « mules » (passeurs de cocaïne), dont de plus en plus de mineurs, a plus que doublé en deux ans passant de 183 en 2014 à 371 en 2016. De l’aveu du procureur Eric Vaillant, « les chiffres ne sont pas bons. » Le trafic de drogue et sa consommation sont, selon le député Gabriel Serville, à la base du niveau d’insécurité que connaît le territoire.
Le maire de Matoury évoque « des jeunes qui sont souvent désœuvrés et qui malgré toutes les mesures qui pourraient être mises en place dans le cadre de la prévention risquent de nous échapper. » Raison pour laquelle « il faudrait un niveau d’accompagnement renforcé, mais aussi un niveau répressif qui puisse répondre autrement à nos problématiques » réclame-t-il.
Ary Chalus, le président de Région guadeloupéen, réagissait au micro de nos confrères de La Première. Selon lui, il faudrait « qu’on puisse renforcer définitivement la police nationale, la gendarmerie » avec les agents ultramarins « qui le souhaitent d’avoir leurs mutations. Ils connaissent le terrain, ils connaissent le travail, donc ils pourraient bien nous accompagner. » Une analyse partagée par exemple par les 500 frères contre la délinquance. « Nous vivons en Outre-mer, c’est vrai, mais nous sommes Français et nous devons être logés à la même enseigne ! »
Davantage de moyens humains, judiciaires et structurels
Selon des chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, « 563 policiers et 310 gendarmes ont été affectés ou projetés dans les outre-mer en 2016 et 2017. » Dans le détail, la Guyane devrait bénéficier au total (mais à quelle échéance ?) de quelques 155 renforts de police et de gendarmerie, d’une augmentation de 15% du budget de fonctionnement des forces de l’ordre, d’un futur commissariat pour Cayenne, et également d’une nouvelle prison très probablement installée sur l’Ouest, comme l’a récemment fait savoir la députée Chantal Berthelot.
Quelques petits cafouillages sont tout de même à noter : la trentaine de gendarmes mobiles initialement affectés à Maripasoula et envoyés en urgence en Guadeloupe en octobre dernier pour « montrer un signe fort » à la population guadeloupéenne suite au meurtre d’un jeune lycéen. Pour compenser cette « démobilisation » sur le fleuve, plutôt à l’avantage des circuits logistiques de l’orpaillage clandestin, un escadron de gendarmes mobiles a été pérennisé jusqu’à la fin du mois de mars en Guyane. Mais pour maintenir la sécurité sur le littoral et dans les centres urbains…
Dans le plan sécurité Outre-mer, un Groupe Tactique Projetable aux compétences multiples (ordre public, police judiciaire, etc.) doit également pouvoir être mis à disposition depuis la métropole pour « renforcer les forces locales en cas de besoin. » Enfin, la nouvelle antenne de l’OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants) qui a été déployée en janvier devrait permettre de lutter contre l’augmentation du trafic. Les saisies des douanes sont passées de 373 kg en 2015 à 443 kg en 2016.
Des efforts ont certainement été consentis, mais ce premier bilan n’offre pas le recul nécessaire pour réellement mesurer l’efficacité du plan sécurité Outre-mer. En attendant, les homicides, trafics, cambriolages et autres pillages continuent de toucher les territoires ultramarins, et posent de sérieuses questions quant aux efforts de l’Etat pour lutter réellement contre la délinquance : favoriser le développement économique, et donc l’emploi, tout en apportant des réponses en matière d’éducation.
Car le sujet ne concerne pas seulement le ministère de l’Intérieur qui éprouve des difficultés à assurer ses missions de maintien de l’ordre, mais bien l’ensemble des services d’un Etat qui peine à satisfaire les nombreuses attentes des populations ultramarines en matière de lutte contre l’insécurité…