Après le départ précipité du recteur Youssoufi Touré il y a deux semaines, et à la veille de la « présentation » de son remplaçant, Alain Ayong Le Kama, l’opportunité de réclamer « une nouvelle stratégie pour l’éducation en Guyane » se présentait aux syndicats. Ce mardi matin, Bruno Niederkorn, porte-parole du syndicat de l’éducation STEG-UTG et Monique Guard, du collectif « Pour plus de sécurité en Guyane » ont tenu une conférence de presse commune officialisant la naissance du nouveau collectif « Pour un recteur guyanais » auquel s’est également rattaché le SNUEP-FSU.
« Nous ne pouvons pas continuer comme ça » explique M Niederkorn, « nous sommes arrivés au bout du système. » Selon lui, alors que l’académie fête ses 20 ans, « le bilan est déplorable » et les enseignants comme la société toute entière font part de leur « exaspération profonde » vis-à-vis de ce système « de type colonial » maintenu par les gouvernements successifs. Le jeune collectif organise donc une manifestation pour réclamer au ministère la nomination d’un recteur local.
« Il y a eu trois bons recteurs en 20 ans »
Avec une durée d’exercice moyenne d’un peu plus de deux ans en Guyane, les 9 recteurs ayant sévit en Guyane étaient tous « des bleus », occupant pour la première fois un tel poste. « Il n’y a qu’en Guyane que ça se passe comme ça » se lamente le porte-parole du STEG-UTG, qui assure que dans les autres académies, les recteurs restent « 5 à 7 ans ». Le syndicaliste reconnaît que trois d’entre eux (Christian Duverger [1996-2000], Jean-Michel Blanquer [2004-2006] et Florence Robine [2009-2012]) étaient « de bons recteurs. »
Parmi les autres, peu ont poursuivi dans la profession (si ce n’est Denis Rolland et Philippe Lacombe, toujours en poste respectivement en Normandie et en Corse). C’est la raison pour laquelle le collectif estime « qu’il faut quelqu’un qui connaisse la réalité du territoire (culturelle et linguistique) » et qui soit « com-pé-tent » en matière de management. Idem pour son entourage (cabinet, SG, SGA, Daasen, etc.), régulièrement attaqué par les syndicats pour sa potentielle « nocivité » pour l’académie.
Peu importe la couleur de peau !
« Ceux qui connaissent le pays, ce sont les guyanais ! » Le collectif écarte d’un revers de la main le flou autour du terme de « guyanais », en précisant que la couleur de peau ou l’origine n’importeraient pas du tout. « Il faut que {cet hypothétique recteur guyanais} vive ici, qu’il s’investisse pour le territoire, et qu’il ne reste pas seulement deux ans » précise Bruno Niederkorn, pour être en adéquation avec les politiques quinquennales élaborées pour l’académie.
Au-delà de « l’origine » du recteur, ce sont les moyens (budgétaires et humains) qu’il faudrait assurer pour accompagner la mise en place d’une véritable politique éducative en Guyane. Au moment de son départ, le recteur Touré regrettait « ne pas avoir les moyens de préparer les rentrée »… un aveu terrible pour le collectif. « Il y a 77.000 élèves en Guyane, on ne peut plus s’amuser à faire n’importe quoi ! » fustige Monique Guard.
Selon M Niederkorn, « 78% des élèves de CM2 de l’Ouest guyanais n’ont pas les compétences en français et en mathématiques pour rentrer au collège ! (…) Des élèves de 15-16 ans qui ne savent ni lire, ni écrire… N’est-ce pas là un échec de l’Ecole ? » se questionne-t-il.
Un recteur guyanais pour mettre fin à la montée de la délinquance ?
C’est en tout cas ce qui motive Monique Guard et le Comité pour Plus de Sécurité en Guyane. « Tant que l’éducation nationale ne sera pas structurée en Guyane, nous aurons autant de délinquants dans nos rues » estime-t-elle, chiffrant à 1.500 le nombre de jeunes quittant le système scolaire chaque année… La déscolarisation, un terreau pour la délinquance.
« Commençons par l’éducation » propose-t-elle, afin de former les jeunes, et leur donner des perspectives d’avenir. Dans le même temps, compter sur les institutions et les élus pour faire en sorte que l’économie guyanaise se développe afin de pérenniser cette dynamique. « C’est un plan simple comme bonjour » reconnaît-elle, « mais il faut chercher le réalisme. Tout le monde est perdu actuellement. Nous avons besoin de savoir où nous allons. »
Les élus, à l’instar d’Antoine Karam, ont commencé à réclamer eux-aussi davantage de précautions dans la nomination des recteurs en Guyane. « Il faut qu’ils poursuivent ce travail auprès des ministères » réclame Mme Guard. M Niederkorn évoque de son côté le cas de la Réunion, où un recteur « local » a été nommé. « Grâce à la mobilisation des réunionnais, des choses se sont produites » soutient-il, présentant les arguments du collectif comme « raisonnables » et « nécessaires ».
Mais qui ?
Selon le collectif, « plusieurs guyanais sont parfaitement compétents » pour tenir le poste de recteur d’académie, qui nécessite d’être Maître de conférence habilité à diriger des recherches (MDC-HDR). Laurent Linguet (MDC-HDR à l’UG au département de Sciences, Technologies et Santé de l’IESG), Isabelle Hidair (docteur en Anthropologie sociale et ethnologie et MDC-HDR à l’IESG de l’UG) et Monique Blérald (directrice du département Lettres et Sciences Humaines à l’UG et ancienne inspectrice académique au rectorat) sont des exemples cités par le collectif.
« On a quand même de la capacité dans ce pays ! » s’exclame Monique Guard, défendant l’idée qu’un recteur guyanais pourrait parfaitement diriger des équipes guyanaises. « Etre guyanais ce n’est pas une tare » assure Bruno Niederkorn, qui reconnaît en revanche que « les mentalités sont à changer vis-à-vis des personnes locales qui occupent des postes à responsabilité en Guyane. »
Pour ce poste « éminemment » politique, le collectif en appelle au soutien des parlementaires et élus du territoire, afin qu’ils « disent à la ministre ce qu’il en est ». Il faut donner sa chance à la Guyane et aux Guyanais. (…) Si on ne commence pas quelque part, on n’arrivera jamais à débloquer tout ça ! » termine Mme Guard, estimant qu’il pourrait en être de même, plus tard, pour les postes de préfet ou les directions des services de l’Etat…
Le collectif appelle donc la population, les enseignants, les élus et les personnels du rectorat à la mobilisation ce jeudi matin, 8 heures, devant le rectorat. Une semaine tout juste après une précédente grève réclamant « de la compétence » portée cette fois par le syndicat majoritaire de l’académie : l’Unsa-Education.