Les tragédies se succèdent, les clivages augmentent… la vérité se noie.
Qu’est-ce à dire ?
Tout simplement que le musulman (ou l’Islam) apparaît aujourd’hui comme le responsable de tous les maux hexagonaux : du pillage des fonds sociaux au chômage massif en passant par l’échec scolaire sans oublier le terrorisme. Il est le parfait bouc-émissaire pour cacher une belle saloperie : le racisme ambiant qui s’étale insidieusement dans toutes les strates de la société.
Car ne nous trompons pas. Après le musulman, à qui le tour ?
Ami lecteur, je ne suis guère adepte de la pleurnicherie immigratoire (snif, les Français ne sont pas gentils avec moi) ou du discours victimaire (snif, j’ai souffert… à travers mes parents… de la colonisation).
Mais à la lecture du rapport de l’Institut National d’Études Démographiques (Ined), paru début janvier 2016, et face à son absence d’exploitation médiatique, je bondis et je mords.
Que nous dit ce rapport ? Notre société qui se targue d’accueillir avec bienveillance des immigrés et leur descendance française (et qui croit être “récompensée” par de l’ingratitude en retour) ne s’interroge pas suffisamment sur les discriminations qu’elle abrite en son sein.
La France peine, c’est un euphémisme, à intégrer ses immigrés, qui adhèrent pourtant “massivement” à leur nouveau pays, au point que la seconde génération fait souvent moins bien que la première. Sans compter la troisième génération, l’actuelle.
“Il y a une intégration à sens unique“, avec la persistance de discriminations multiples, explique Cris Beauchemin, chercheur, et l’un des auteurs de cette étude menée par l’Insee (Institut national de la statistique) et l’Ined.
D’un côté, une immense majorité des immigrés ou de leurs descendants se disent “d’accord” avec la phrase “je me sens Français” ou “je me sens chez moi en France” (93% pour la deuxième génération), souligne cette étude au spectre très large (emploi, religion, famille, éducation…).
Mais ils se heurtent régulièrement à ce que les auteurs appellent un “déni de francité“, qui les renvoie à leurs origines.
En effet, “la francité n’est pas attribuée sur la base de la nationalité ou de codes culturels” comme la langue, mais sur une idée de ceux “qui ressemblent à des Français” ou non – et les premiers à en souffrir sont les Africains, les Maghrébins et les Asiatiques… et bien sûr les Domiens (Antillais, Guyanais…) – c’est-à-dire les “minorités visibles“.
Ainsi, plus de 50% des immigrés originaires d’Afrique, même naturalisés, “pensent qu’on ne les perçoit pas comme Français“.
Les immigrés de la deuxième génération font donc moins bien que leurs parents. L’étude pointe le rôle pivot de l’école : 32% des descendants de parents nés au Maghreb n’ont aucun diplôme au-delà du brevet des collèges, contre 16% pour la “population majoritaire“. Ils se retrouvent alors “en situation très désavantagée sur le marché du travail“, souligne M Beauchemin.
Sans avancer d’explication, les chercheurs s’interrogent sur le rôle pivot de l’école, un “fonctionnement discriminatoire de l’institution scolaire à l’encontre – principalement – des garçons sur le fondement de leur origine”.
Même si dans la vie active les conclusions sont plus nuancées, l’impact se fait aussi sentir, avec une décote salariale plus prononcée pour les hommes que pour les femmes. Mais au total un immigré né en Turquie gagnera en moyenne 20% de moins que la population majoritaire.
Ainsi, de 10 à 37% des immigrés “visibles” ont vécu des discriminations ou du racisme au travail. Et les sondés ont plutôt tendance à minorer les expériences racistes, selon cette étude. “Ils ne sont pas en position victimaire, quand ils dénoncent une discrimination, cela correspond à une réalité sociale“, souligne Christelle Hamel de l’Ined.
Les chercheurs se montrent en revanche très prudents sur le controversé “racisme anti-Blancs“, phénomène “minoritaire“, et surtout d’une autre nature car il reste sans conséquence sur la carrière ou les résultats à l’école.
Penses-tu ami lecteur qu’un autre ministre que C. Taubira, pourtant non musulmane, aurait eu une banane comme commentaire de son activité ministérielle ? Penses-tu qu’il est normal qu’une agence immobilière en zone parisienne me demande si je veux des “noirs ou des arabes”, sans préciser le mot musulman, dans le logement dont j’ai été propriétaire ? Trouves-tu normal qu’un ami Polynésien, pourtant non musulman, ne souhaite pas s’installer dans l’Hexagone parce qu’il ressemble trop à un arabe ?
Alors, est-ce vraiment le musulman le problème ? Ou l’Autre, le non blanc ?
Qu’est devenu l’esprit Charlie ? Quels ont été les effets concrets de la grande marche républicaine ? Quelle conséquence pratique a engendré cette unité de la nation pourtant vantée et semble-t-il adoptée tant par les corps institutionnels (partis politiques, syndicats, associations, médias, religions…) que sur les réseaux sociaux. Rien ou si peu : minutes de silence, journées du souvenir, débats et textes dans les écoles, ouverture des mosquées pour mieux connaître l’Islam… et explosion des scores électoraux du Front national.
Ces tragédies sont pourtant autant de paliers qui conduisent à des clivages sociétaux croissants. Pas, comme cela devrait l’être, sur des idéologies basées sur la lutte des classes (j’assume cette expression), sur l’inégalité des rémunérations entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, sur le mode de redistribution (vive les paradis fiscaux) ou de répartition (vive les actionnaires) de la richesse produite. Non. La grille de lecture des faits sociétaux porte aujourd’hui sur la couleur de peau. Or, il y a bien le fait religieux, l’islam pour ne pas le nommer, mais ne nous trompons pas. Le vrai bouc-émissaire des maux de notre société donc le vrai ennemi, c’est l’autre, musulman ou pas, pratiquant ou pas, celui qui n’appartient pas à l’ethnie raciale majoritaire.
La place de l’Islam mérite un débat, dépassionné. Mais c’est accessoire.
La place des minorités dites visibles mérite un débat, franc et objectif. C’est essentiel.
Farouk AMRI